Nous
sommes une froide soirée de fin novembre. Cela fait depuis janvier que je suis
en congé de maternité, et l’année du Cheval
n’a pas été de tout repos. Elle nous a plutôt fait galoper, et il a
fallu bien s’accrocher pour ne pas tomber. Nous nous concentrons sur la chance
que nous avons eue dans notre malchance, ou comme le dit l’expression anglaise,
sur la bordure argentée des nuages (le proverbial « silver lining »). Oui on a bien eu quelques déboires, mais du
haut de ses 9 mois, notre petite dernière a une santé de cheval, notre aîné
s’en est relativement bien sorti lors d’une chute dans notre escalier, notre
famille proche et nos amis sont en bonne santé et nous sommes plus soudés que
jamais.
Le
congé maternité s’achevant, je me prépare psychologiquement à sortir de ma
petite bulle de douceur et « reprendre le collier », retourner
vaillamment travailler pour « gagner ma vie » et garnir le compte en
banques aminci de la famille. Fin septembre, nous avions appris que le poste de
mon conjoint avait été coupé, mais j’avais accueilli la nouvelle avec presque
un peu de soulagement. Cela me permettrait de souffler un peu et de me
concentrer sur mon travail alors qu’il resterait avec les enfants qui
n’auraient pas à être réveillés aux premières heures et qui ne seraient pas déposés
comme de petits ballotins encore tout chauds de sommeil au service de garde.
Les matins pressés, la course pour arriver à l’heure au travail, le cœur lourd
de laisser mes enfants en pleurs dans les bras d’une inconnue, je redoutais ces
moments. Mais travailler tout en étant mère, je l’avais choisi et je devais
assumer. Malgré la douleur quotidienne de ne pas voir assez mes enfants, je
trouvais risqué de tout mettre le fardeau de ramener des sous sur mon conjoint
(ou le mien).
Sauf
que cette soirée-là, j’apprends que je ne pourrai pas retourner au travail, car
mon département « subit un ralentissement important » et que
l’industrie du traitement de l’eau se porte bien mal. Glacée, j’appelle mon
boss pour plus de précisions, et il
m’annonce qu’il ne voit pas encore la lumière au bout du tunnel et qu’il
se voit obligé de me mettre à pied temporairement, jusqu’à que de nouveaux
contrats soient obtenus. Je me sens comme une vieille machine mise au rebut
mais je ne peux lui en vouloir, il doit aussi nourrir sa famille et payer ses
employés après tout. Apparemment, la « crise » dans le domaine du
traitement de l’eau touche tout le monde, les Villes donnent au compte-gouttes
des contrats, les industries veillent à leurs deniers, et toute la profession
des ingénieurs subit les contrecoups de la Commission Charbonneau, les firmes
ont faim et se jettent sur le moindre contrat comme des charognards. Certaines
commencent même à sous-traiter leurs
services à l’étranger.
D’accord,
je peux comprendre la situation, mais au secours, moi je fais quoi ? Je regarde
mes petites bouilles d’amour, et paniquée, je me demande…de quoi sera fait leur
avenir ? Oh que n’ai-je pas choisi de devenir « docteur des yeux » comme je le souhaitais enfant, on n’a jamais
vu un médecin au chômage ! Ils rament, les ingénieurs en génie-conseil…et
pourtant, l’eau c’est la vie mais les infrastructures de traitement en eau sont
une moindre priorité par rapport à la santé, ou alors on attend à la
dernière minute pour les mettre à niveau
et au moindre coût s’il vous plaît.
« Pas de panique », comme dirait
Didou, le sympathique lapin blanc dessinateur qu’affectionne mon fiston. Je
suis persuadée que j’aurais droit au moins à quelques prestations de
l’assurance-chômage. Jusque-là épargnée et n’ayant jamais eu de difficultés à
me trouver un emploi, je ne m’étais jamais posé la question sur les modalités
de l’assurance-emploi. Une recherche sur internet et une conversation avec une
amie me font vite déchanter et constater avec stupéfaction que non, une jeune
mère qui a pris la totalité du congé maternité et parental n’a strictement
droit à rien même si elle a cotisé de manière continue avant car elle n’a pas
cumulé entre « 420 et 700 heures de travail » (selon le taux de
chômage) durant la période de 52 semaines précédant sa demande. Quand je
communique cette nouvelle à mes amis, la plupart sont abasourdis. Je tombe sur
quelques articles de mères qui se retrouvées « le bec dans l’eau »
car mises à pied juste quelques semaines après leur retour au travail et qui
allèrent même jusqu’à poursuivre le gouvernement fédéral pour obtenir gain de
cause. C’est d’autant plus révoltant que les anciens prisonniers sont mieux
traités avec une extension de la période de référence (la période précédant le
chômage) à 2 ans. Ces mères se sont
battues mais ont fini par baisser les
bras, à l’usure et faute de moyens.
La
situation est d’autant plus incompréhensible que les prestations parentales ont
été versées par le gouvernement québécois, qui depuis 2006 possède son propre
régime d’assurance parentale alors que celles de l’assurance-emploi le sont par
le gouvernement fédéral. Sur mon
bordereau de paie, j’ai cotisé aux deux régimes, qui sont destinés à des fins totalement
différentes: l’un permet aux mères (et aux pères) qui travaillent de s’occuper
de leur bébé pendant 1 an, l’autre permet de soutenir pendant quelques mois les
travailleurs ayant involontairement perdu leur emploi. Le Québec est la seule
province à s’être prémunie de son régime parental qui est le plus généreux du
pays. Il n’en coûte rien aux caisses du gouvernement fédéral car le régime
québécois d’assurance parentale est autosuffisant. En pénalisant ainsi les
travailleuses-mères, Ottawa considère implicitement que le congé parental,
c’est comme une période de chômage. Selon La ministre des Ressources humaines,
Diane Finley, et je cite, « il serait injuste de recevoir deux fois
des prestations pour le chômage et le congé parental ». Imaginez que vous
ayez souscrit à deux assurances, une pour votre automobile et l’autre pour
votre maison. Manque de chance, vous vous faites voler votre véhicule et le
lendemain, vous êtes cambriolé. Vous obtenez un dédommagement pour votre auto,
mais quand vous soumettez la réclamation pour vos biens volés, on vous répond :
« désolée vous n’aurez rien car l’assurance auto vous a déjà dédommagé,
vous ne pouvez pas faire deux réclamations l’une après l’autre, vous auriez pu
le faire si ces deux événements ne s’étaient pas produits une journée après l’autre ».
Même absurdité ! On a cotisé à deux
régimes distincts, mais on ne peut cumuler les réclamations sous prétexte qu’elles
ont lieu l’une à la suite de l’autre.
Une
des priorités pourtant énoncées dans la politique des conservateurs est
de soutenir la famille. Ne verser aucune prestation d’assurance-emploi à une
mère qui veut retourner au travail et qui du jour au lendemain se retrouve sans
poste en plus d’avoir à se remettre de la fatigue de son congé (et non, ce ne
sont pas des vacances !) et de prendre soin de son bébé et éventuellement de
ses autres enfants, je trouve que c’est une drôle de façon de soutenir la
famille. Et le père dans tout ça, rétorqueront certains ? Et bien, il peut
avoir lui aussi perdu son poste, avoir un revenu modeste ou pire que ça, être
parti ou malade ! On comprend que les anciens prisonniers n’aient pu travailler
pendant leur incarcération et on veut bien prolonger la période de référence
pour eux à 104 semaines, mais on envoie implicitement le message aux mères
(car, oui, ce sont souvent les mères qui prennent une année de congé surtout si
elles allaitent) qu’il y a un prix à payer pour s’être occupée de bébé pendant
1 an. La solution brillante que propose
Mme Finley : abolir l’exemption pour les prisonniers comme ça il n’y aura
pas de jaloux.
Je
parcours les commentaires laissés par les internautes sur un reportage de Radio
Canada publié le 9 avril 2013 :
décrivant
la situation de Julie Barron, licenciée économiquement 4 semaines après son retour.
Je suis médusée par la virulence de certains commentateurs traitant ceux qui
dénoncent cette situation comme des féministes qui ne sont jamais contentes, et
d’autres, de la génération de mes parents, qui pensent que l’on est des gâtés
pourris et qu’on devrait déjà être contents car à leur époque, il n’existait
pas de congés parentaux payés. Ou encore, des réflexions du genre :
« arrêtez de vous plaindre les mères et allez bosser comme tout le monde
! ». Sauf que pourquoi les mères sont-elles coupées de toute prestation
d’emploi alors qu’elles sont les plus vulnérables ? La société a évolué aussi depuis les années
50, et le modèle familial n’est plus le même. Avant, la mère restait pour la
plupart du temps au foyer, et il me semble que c’était l’époque où les emplois
– du moins dans mon domaine – étaient plus stables. J’ai trouvé attristant de
constater que certaines personnes de la vieille génération, au lieu de
comprendre la réalité des parents d’aujourd’hui, les enfoncent. Ou alors que
d’autres nous traitent de « quêteuses » (je cite) ambitionnant
sur le gouvernement». On ne quête rien, on a cotisé des années durant à un
programme supposé nous aider durant des temps difficiles, et on demande juste
accès à ces fonds pour passer à travers le cap mais le gouvernement nous fait en douce un petit
tour de passe-passe en amalgamant congé maternité/parental et période de chômage.
D’autres personnes se plaignent que de toutes façons, les femmes enceintes et
les mères sont trop choyées, et qu’ils ne voient pas pourquoi ils cotiseraient
pour un régime parental dont ils ne profiteront jamais, et qu’il ne faut pas
exagérer, elles se sont déjà « payées la traite » pendant un an,
alors pourquoi demandent-elles plus. On
pourrait leur rétorquer que si jamais ils tombent gravement malades, ils
seraient bien contents qu’on ait cotisé pour leurs soins médicaux.
Un
autre argument des conservateurs est que dans les autres provinces c’est ainsi
alors pourquoi les parents québécois auraient droit à recevoir des prestations
durant deux années de suite ? On nivèle par le bas le Québec au lieu de
s’inspirer du RQAP dont le même modèle pourrait être appliqué dans le reste du
Canada. Mais toutes ces mesures sociales sont ruineuses, rétorqueront certains,
les mères (ou les pères) ont juste à retrouver rapidement un boulot et arrêter
de profiter de l’État. Je corrige : il n’est pas toujours évident de
retrouver un poste comme ça, du moins dans notre domaine de l’ingénierie
environnementale et de la construction et non, on ne profite pas, on récupère
en partie ce à quoi on a cotisé. Ces prestations d’assurance-emploi peuvent au
moins enlever un peu de stress à une mère affaiblie par la fatigue et le choc
de son licenciement, ce qui l’aidera à rebondir et/ou se payer des formations
augmentant ses chances de retrouver un emploi.
Me
lamenter et me taire, me résigner ? Non, je préfère en parler haut et fort pour
qu’au moins, ce qui nous arrive aide à informer les gens et faire bouger les
choses. Je constate que ce petit tour de passe-passe du gouvernement fédéral
est inconnu de la plupart des personnes. Et la position des autres partis politiques
? En 2011, Le NPD a déposé un projet de
loi (C-362) pour proposer de réformer la loi sur l’assurance-emploi pour qu’un
parent dans ce genre de situations puisse recevoir des prestations régulières. Ce
projet en est à l’étape de première lecture. Encore du chemin à faire vu que la
majorité actuelle au Parlement est composée de conservateurs…Je n’ai pas pu
trouver de l’information précise sur la position du parti libéral et je suis en
attente de la réponse du porte-parole en matière d’assurance-emploi.
Ce qui me console malgré l’anxiété des
lendemains incertains, c’est que je découvre dans la foulée des organismes
indignés par l’injustice de cette politique discriminatoire tels que l’organisme
Action Travail des Femmes qui m’a très bien accueillie, et ensemble, nous nous
proposons de rassembler les forces des associations citoyennes pour que le
voile soit levé sur cette injustice flagrante. La presse parle de ce problème
depuis 2011, nous sommes en 2014, et les jeunes mères subissent encore cette
injustice. Certaines n’en parlent pas, le salaire de leur conjoint étant
suffisant pour nourrir la famille, quelques-unes se révoltent, mais finissent
par baisser les bras, par lassitude et manque de ressources. Une fois qu’elles
ont retrouvé un emploi, elles n’ont plus de temps, et l’affaire dort de
nouveau, ce qui fait l’affaire du fédéral.
Affaire
à suivre, je ne baisse pas les bras !